Lunettes noires
(Première publication le 20 octobre 2006)
J'extrais cette phrase de ma revue de presse matinale. Ne cherchez pas l'auteur, c'est une presse à diffusion très restreinte.
L'univers n'est plus complaisant, lui, avec les gens conscients.
Je ne sais pas si l'univers ne l'a jamais été, complaisant, mais il est certain qu'il l'est de moins en moins. Tout s'accélère. Alors est-ce notre conscience qui suit cette accélération, où bien est-ce le contraire?
Il y a deux mois je discutais avec mon frère qui était surpris d'apprendre mon deuxième divorce. Il a cherché à comprendre, il trouvait que je m'accordais plutôt bien avec ma femme et ne voyait pas le sens, ni la nécessité, de ce changement soudain et grave dans ma vie. C'est vrai qu'avec ma femme, on avait beaucoup de choses en commun, une affection, une tendresse, une vision de la vie aussi, qui dans les gros traits semblaient largement suffire à nous garder unis pour longtemps. J'expliquais à mon frère ce qui ne marchait plus. Il accepta, dubitatif sur les raisons, et conclue que nous ne sommes plus au temps d'antan, qu'il est vrai que les choses changent plus vite, qu'en une vie, nous avons l'opportunité de choisir plus souvent notre orientation qu'il y a un siècle ou deux.
Qu'est-ce qui nous fait changer si vite? Qu'est-ce qui nous fait rendre inacceptable aujourd'hui ce qui était normal hier? Qu'est-ce qui nous rend une chose de la vie insupportable alors qu'avant, on l'aurait supportée aisément? Sommes nous devenus capricieux ou seulement exigeant? Et cette exigence est-elle un renforcement de notre ego ou bien le signe d'une nouvelle conscience? Une conscience plus pure, plus claire, a des exigences plus fortes, n'est-ce pas ? Sans doute.
Mais nous sommes aussi, mêler à cette aire de consommation accélérée, n'est-ce pas? On veut tout tout de suite et à crédit s'il le faut. Et cela est bien un mouvement de l'ego. Est-ce que nous consommons nos relations à la même vitesse mené par ce même ego, ou bien est-ce uniquement notre conscience, toujours plus éveillée qui recherche une adéquation toujours plus parfaite? Comment fait-on avec certitude la distinction entre la conscience qui s'éveille et l'ego qui s’exalte ? Une nouvelle relation offre de nouveaux plaisirs qui nourrissent l'ego. Ces nouveaux plaisirs, s'ils naissent d'une plus grande finesse de l'âme, d'une croissance de la sensibilité, d'un éveil de la conscience, sont aussi le signe de l'évolution de la conscience? Comment savoir qui mène qui ?
On essaye, on teste, on goûte. Cela nous plaît et cela ne nous plaît plus. Et puis cela nous plaira peut être encore. Des regrets, des doutes, une nouvelle aventure, une nouvelle amertume, une nouvelle expérience.
Si on n'était pas plombé par la culpabilité on pourrait tester nos relations comme les raisins au supermarché. On y vient presque, mais serait-ce raisonnable?
Comme ce raisin que j'ai goûté, trouvé fade, mais pour un prix malgré tout relevé. Par quelle drôle de complaisance envers ce supermarchand vais-je le mettre dans mon caddie? Est-ce parce que je suis pressé et que j'ai faim? Est-ce parce que je ne sais pas comment faire autrement et que je suis pris dans mes habitudes? Ma conscience qui s'éveille me dit bien que je participe à une mauvaise consommation, j'engraisse celui qui m'exploite et me nourrit mal? Plus primitif que l'ego, mon cerveau reptilien me dit « j'ai faim ! ». J'achète ce mauvais fruit. Et plus ma conscience s'éveille, plus cela blesse mon âme.
Il est des moments où l'on préfèrerait dormir pour l'éternité. Mais, c'est vrai que l'univers ne nous laisse pas régresser aussi facilement, il n'est pas complaisant, et il me réveille à grand coup de lumière dans la figure. 
Amis, si vous décidez de vous éveiller et d'allumer la lumière dans vos vies, d'ouvrir les yeux, de rejeter ce qui ne convient plus, d'affirmer ce que vous êtes, munissez-vous quand même d'une bonne paire de lunettes noires, au début, et n'espérez pas vous retournez douillettement dans vos bonnes vieilles habitudes quand la fatigue vous prendra,