10mn par jour

Publié le par Tristan

J’ai fait l’autre jour un petit trajet en RER  pour rentrer chez moi. A une station, une jeune femme s’assied à deux sièges du mien. Elle décroche son téléphone qui sonne et se met à pleurer en disant « c’est de ma faute si mes parents divorcent. » Puis elle raccroche, pleure à chaudes larmes, des larmes et des soubresauts qui jaillissaient tout seul. Son coup de fil avait duré quelques secondes. Elle tripotait deux téléphones portables dans ses mains qui restaient muets.

Un moment je me disais que cela ne me concernait pas. A quoi bon aller s’intéresser à un drame qui n’est pas le mien, j’ai eu ma dose de peines et de souffrances pour ne pas me charger de celle là en plus. Et puis je connais mon empathie naturelle qui m’embarque dans des histoires qui finissent par me pomper toute mon énergie et m’éloigner de moi. Alors, chacun sa croix, finissons notre voyage chacun dans notre coin. Et puis c’est une jeune femme, on va encore penser que je drague si je vais vers elle. Et puis je descends dans trois stations alors à quoi bon, que peut-on faire en 10 mn ? Voilà toutes les raisons qui faisaient que poursuivre ma route la tête enfoncée dans 20 minutes se justifiait amplement.


Mais voilà, lors du trajet aller, je m’étais lever pour donner une pièce à un homme qui faisait la manche, traversant toute la rame pour lui tendre ma main, parce qu’il m’avait touché, parce que son dénuement m’avait touché et que l’abondance dans laquelle je vis par rapport à lui pouvait bien mériter ce geste. J’avais osé et je n’avais eu ni honte ni peur de mon geste.

Pourquoi avais-je plus de retenu à tendre la main à cette jeune personne qui pleurait ? Dans le fond je ne savais pas quoi lui donner. Et puis elle ne demandait rien surtout. Pourtant si elle demandait, tout son corps et tout son visage demandait. Cela aurait été malhonnête de penser le contraire.

J’hésitais, puis je sentais en moi une conscience profondément libre qui disait que je ne pouvais pas feindre d’ignorer les autres et que j’avais assez de liberté en moi pour oser ne pas laisser quelqu’un dans la souffrance sans rien faire, sans envoyer un signe qui  rappelle que nous pouvons tous être entendu, écouté, aidéet soutenu dans nos moments difficiles.

Je suis resté à ma place et j’ai laissé faire mon instinct sans me laisser dépasser par la peur de ne pas respecter l’étiquette et la bienséance. J’ai essayé d’être humain. C’était facile après ces derniers jours passés dans le désert. J’ai posé ma main sur son épaule et je lui ai demandé « qu’est-ce qu’il vous arrive ? » Elle a raconté son histoire. En face de nous un autre homme écoutait. Je sentais qu’il devenait présent et se mettait à l’écoute à son tour, même s’il restait silencieux. Elle raconta que sa mère trompait son père depuis 25 ans et que cette dernière l'avait subitement mise dans le secret mais qu’elle n’avait pu tenir ce secret et l’avait révélé à table lors d’un dîner de famille. Depuis c'était Hiroshima dans sa famille.
Sa mère la détestait, son père aussi, qui préférait sans doute continuer de vivre dans l’illusion de l’amour de sa femme. Ses parents avaient décidé de se séparer. Elle se sentait coupable de leur séparation et ne supportait pas cet état. Cela faisait 6 mois qu’elle traînait cette peine et cette culpabilité en elle.
Elle pleurait, se reprenait, puis pleurait à nouveau. Je lui disais et répétais plusieurs fois « Vous n’êtes pas responsable », mais elle avait surtout besoin de raconter son histoire un peu plus. Je reposais ma main sur son épaule. Je lui répétais encore une fois « Vous n’êtes pas responsable, vous n’aviez pas à garder ce secret pour vous, c’était un poids insupportable ». Elle racontait encore que sa mère avait toujours méprisé son père, lui parlait mal, utilisait l’argent du foyer pour s’acheter des effets personnels, ne travaillait pas, avait multiplié les aventures… Je reposais ma main sur son épaule et lui répétais « Vous n’êtes pas responsable, vous ne pouviez pas garder ce secret pour vous, vous n’êtes pas responsable ». « Mais j’aime ma mère » disait-elle. « Oui, et vous avez raison, mais vous n’êtes pas responsable ».

Elle s’arrêta de parler, marqua une petite pause et me regarda avec un visage enfantin baigné de larmes :

-    « Vous croyez ? » me dit-elle,
-    « Oui vous n’êtes pas responsable, vous n’aviez pas le choix »,
-    « Vous croyez vraiment »,
-    «J’en suis sûr même »
Elle eu un beau sourire. Très beau.
Elle semblait plus reposée. Mon arrêt lui, était arrivé et je descendais le cœur léger. Je lui souhaitais bonne route et m’en allait sans me retourner.
Je savais que j’avais transmis un petit message, dans ma voix, dans mes mots, dans mes gestes, un message qui durerait le temps qu’il durerait. Je ne me posais pas la question. J’avais fais ma part du chemin, pour 10 mn, 10mn durant.
10mn c’était rien, mais c’était énorme. Je n’avais rien perdu de mon énergie, j’avais au contraire une super patate. Je n’étais pas triste de la laisser, pas inquiet de ce qu’elle deviendrait, cela n’était pas ma responsabilité. J’étais juste content d’avoir partagé ce moment, parti d’un pleur vers un sourire.


Et si la vie n’était faite que de tranches de 10mn ? Combien de centaines et de milliers de tranches de 10mn ai-je royalement ignorées pensant qu’il fallait que cela dure plus longtemps pour en valloir la peine ? Pourquoi ?
Pourquoi ignorons-nous ce qui se passe sous nos yeux avec de tels prétextes ? Pourquoi refusons-nous de donner notre aide et notre amour aussi souvent ,lorsque nous pourrions si facilement le faire ? N’est-ce pas parce que nous ignorons ce qu’il en adviendra ? N'est-ce pas paceque nous n'avons aucun pouvoir sur l'utilisation qui sera faite de notre don?
Souvent c’est ainsi que l’on refuse la pièce au mendiant, pensant qu’il la boira, au lieu d’en faire « bon usage ». Quelle besoin avons-nous de contrôler notre don d’amour ? Comme si l'amour nous appartenait... Avons-nous peur à ce point d’en manquer ?


Cette gymnastique de l’esprit qui refuse d’aider est épuisante et ne crée pas une énergie revigorante.
Au contraire de cela je suis sorti de ce RER avec une joie  et une force décuplées. C’était un chouette moment. Je sais que si je m’étais plongé dans mon magazine mon énergie aurait été bien moins forte en sortant, mon esprit aurait été perturbé par cette jeune fille qui pleurait et souffrait. Alors que mon être a été revigoré par cette aventure.

Les temps sont durs, on rencontre de plus en plus de misère, de peine et de souffrance. Alors on peut s’en protéger en se barricadant derrière des murs, en partant loin ou en restant chez soi ou en s'enfermant. Mais la misère se rapproche.

Alors si le cœur vous en dit et que vous en avez la force, essayez d'être là avec votre coeur. La meilleure plus puissante des protections  contre la misère reste l’amour que l’on peut donner sans rien attendre.J'en ai fait l'expérience. 10 petites minutes et je assure que cela vaut le coup.

10 mn suffisent à éclairer notre journée.

10 mn suffisent à éclairer la journée d'un autre.

Si chacun de nous décidions de consacrer 10 mn par jour à l'un d'entre nous, par pur don et sans rien attendre, à quoi ressemblerait notre monde demain ?
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