Devoir de vacances

Publié le par Tristan

Je ne me souviens que de deux de mes instituteurs, celui du CE1, un monsieur Coste que j’aimais beaucoup. Je me souviens qu’il avait une façon de nous faire apprendre la grammaire qui m’avait fait aimer la grammaire. On apprenait dans le BLED et j’avais l’impression qu’on apprenait les règles du Monopoly ou de je ne sais quel jeu de société. Quand on connaissait bien la règle, on ne pouvait pas se tromper, on gagnait forcément à tous les coups et on avait un super résultat ! J’adorais le français à cette époque là, et je me souviens que j’aimais les contrôles. C’est comme faire une nouvelle partie !

Je me souviens aussi de mon instituteur du CM2, c’était le directeur de l’école, il était plus sévère mais toujours juste. J’étais deuxième ou troisième de la classe. Lui aussi m’avait transmis par sa loyauté, le goût de réussir et de me hisser au premier rang.

Je n’ai aucun souvenir des autres instituteurs. Aucun. Je ne vois pas leur visage, je ne sais même pas s’il s’agit d’homme ou de femmes. Un jour ma sœur m’a transmis une de mes photos de classe du primaire et j’ai vu une de ces institutrices dont j’ai perdu le souvenir. Son visage ne me disait rien. Un blanc total. J’ai occulté ce personnage de ma vie et je me disais qu’après tout, elle n’avait pas du me marquer plus que ça.


Mon frère m'a confié trois cahiers d’école du primaire datant de 1974- 1975. J’étais en CM1. Je les ai parcouru hier et mon souvenir de « plutôt bon élève en primaire » a été soudainement ombragé par une sorte de sentiment nauséabond. En relisant les cahiers d’exercice de grammaire et de mathématiques j’ai ressenti à nouveau ce que j’avais ressentis enfant avec cette institutrice, mais que j'avais oublié. C’était un profond sentiment d’être nul et aucun espoir de pouvoir sortir de cette nullité. Le sentiment qui est remonté à la surface était une espèce de désespoir profond qui pousse à abandonner toute envie de faire du mieux que l’on peut. Pourquoi ai-je eu ce sentiment enfant avec cette institutrice alors que deux années auparavant, j’apprenais la grammaire en m’amusant  ?



Je l’ai découvert en observant les commentaires de l’institutrice dans la marge. Voici comment elle procédait :
- Quand l’exercice était totalement réussi, elle écrivait « exact », et si elle le pouvait, elle plaçait un commentaire complémentaire du genre « exact, mais mal écrit »
- Quand il y avait de rares erreurs, elle commentait « satisfaisant »
- Quand il y a avait des erreurs plus nombreuses, le commentaire disait « moyen », « médiocre » ou « travail insuffisant » suivant le nombre d’erreurs, et des commentaires de type « oh ! » « Etes-vous attentifs ? », « Dernier avertissement ! » accompagnaient ses corrections.

J’ai retrouvé la graine de désespoir que cette personne avait semée en moi. Elle venait du fait qu’elle enlevait tout sentiment de bien être aux commentaires du travail.
 

Jamais, même un travail parfait, n’a été accompagné d’un commentaire de type « bon travail », ou « bien ». Au contraire, elle dévalorisait le bon travail en lui trouvant une imperfection : « exact, mais mal écrit ».

Il n’y avait donc aucun espoir d’être « bon », « bien » ou « mieux », même en étant parfait. Vers la fin de l’année, les erreurs sont de plus en plus fréquentes et le stylo rouge s’en donne  à cœur joie pour déverser des mots désobligeants. L’œuvre de destruction a fonctionné, j’ai fini cette année là, moins bon élève que je ne l’avais commencé.

Ici, il s’agit bien plus que d’une simple absence d’encouragement. Le vice était plus profond. Il consistait à retirer toute forme d’émotion positive des réussites et des succès de la vie, pour ne laisser que des sentiments négatifs en s’appuyant sur les erreurs.

La règle du jeu de cette institutrice était « seule moi maîtrise les règles du jeu et tu perdras toujours quoi que tu fasses, tant que je l’aurais décidé ainsi ».


Je suis persuadé, en me souvenant de M Coste et du Directeur de l’école, que leur loyauté était suffisante à faire aimer l’apprentissage scolaire. Ils n’étaient pas expansifs, ni d’une compassion remarquable. C’était la primaire de province dans les années 1970. Mais j’avais le sentiment en allant à l’école que je jouais à des jeux de grammaire, d’écriture ou de je ne sais quoi et qu’il suffisait de bien lire et apprendre les règles du jeu pour s’amuser et gagner la partie.

Le jeu est le propre de l’homme. L’homme est le seul animal qui joue encore à l’âge adulte, excepté les animaux domestiqués par lui. Les autres animaux (sauvages) ne jouent plus. L’homme continue de jouer, car il recherche la maîtrise de son destin qu’il découvre en jouant chaque moment de sa vie, en mettant à l’épreuve ses propres sentiments sur l’échiquier de ses propres expériences.

La manière dont on nous apprend à jouer notre vie est déterminante sur notre destin.

Nous créons nous-même nos propres émotions. On ne les crée pas pour nous. Il n’est pas utile de caresser un enfant pendant des heures pour qu’il se gratifie lui-même d’un bon travail. Des appréciations et des commentaires loyaux et justes tels que « Bon travail », « bien », « très bien » suffisent à éveiller des sentiments de bien être et stimulent l’envie. On se crée des émotions positives à partir de presque rien.

Souvent les adultes, les éducateurs et les parents pervertissent les règles du jeu. Pourquoi ? Pourquoi avons-nous besoin de susciter la peur et le désespoir de l’enfant ? Pourquoi voulons-nous gagner contre les enfants en trichant et en ne respectant pas les règles des jeux qu’on leur propose ? « Je te propose un exercice et si tu réussis, je te ferais ressentir que tu t’es trompé » « je te propose un jeu, mais la règle c’est que je gagne ». Pourquoi utilisons notre pouvoir sur eux ? Aurions si peur de voir grandir des êtres libres, épanouis et intelligents autour de nous ?

Avons-nous conscience qu’en faisant cela, on leur fait croire qu’il faut tricher pour vivre ? Que la vie est faite de fausses loi et de fausses règles ? Que c’est l’anarchie ?

Les lois de l’univers sont stables et sont basées sur nos sentiments. On attire ce que l’on ressent. Respecter les émotions d’un enfant dans le jeu de la vie, c’est lui apprendre les lois de l’Univers dès le plus jeune âge. Les pervertir, c’est le démunir.


Et si éduquer un enfant et le rendre libre se résumait à être loyal avec nos sentiments, à respecter les leurs et les règles du jeu qu’on leur propose ?

A vos commentaires…

Publié dans Permis de parent

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